C’est le titre du très bon article signé Florence Billault-Chaumartin (EIfER, European Institut for Energy Research), Marie Petitet et Eli Rakotomisa (EDF Lab Saclay) publié dans le dernier numéro (n°657) de la Revue de l’Énergie.
Les auteurs présentent les principaux défis pour les réseaux électriques français et allemands, du déploiement massif des énergies renouvelables (EnR). Celles qui seront majoritairement développées dans le futur (éolien et photovoltaïque) se caractérisent par une production variable et intermittente et par une répartition spatiale qui diffère des énergies conventionnelles. Ils montrent que l’impact est différent de part et d’autre du Rhin.
Nous proposons de résumer ici les principaux enjeux du développement des EnR pour le réseau électrique en nous focalisant sur le cas allemand.
Source : EIfER
En Allemagne : un mix 43 % carboné et 41 % renouvelable
L’article commence par rappeler les principales caractéristiques du secteur électrique dans les deux pays. En 2019, la production nette d’électricité vaut 573,2 TWh en Allemagne (537,7 TWh en France). Le mix allemand est encore fortement carboné avec 43% de sa production provenant du charbon, du gaz et du fioul. Le gouvernement a acté la sortie du nucléaire pour 2022 et celle du charbon à l’horizon 2038. En matière d’EnR, l’Allemagne a déjà dépassé ses objectifs 2020 et s’est fixé d’atteindre 65% d’EnR dans sa consommation brute d’ici 2030.
Aujourd’hui, la part des EnR dans le mix électrique est deux fois plus importante en Allemagne qu’en France.
Une organisation du transport et de la distribution décentralisée en Allemagne
Au-delà d’une différence dans la structure des mix électriques, la France et l’Allemagne se distinguent par l’organisation du transport et de la distribution d’électricité: centralisée en France suite à la loi de nationalisation de 1946 (création d’EDF), décentralisée en Allemagne où l’on compte quatre gestionnaires de réseau de transport (GRT) et plus de 800 gestionnaires de réseaux de distribution (GDR) - en France Enedis couvre environ 95% du territoire.
La coordination des acteurs constitue donc un enjeu important en Allemagne.
Le développement du réseau de transport : un sujet central en Allemagne
D'une manière générale, le déploiement massif des EnR se traduit par une décentralisation de la production. De plus, il s’effectue majoritairement en fonction des gisements naturels indépendamment de l’état du réseau existant.
En Allemagne, les enjeux techniques du développement des EnR sur les réseaux électriques sont particulièrement importants du fait :
de la répartition géographique des capacités EnR (éolien au Nord) et des centres de consommation historiques (au Sud ouest);
de la sortie programmée du nucléaire et du charbon;
de la situation du pays au sein de l’Europe.
Pour atteindre les objectifs fixés en matières d’EnR, l’Allemagne a ainsi adopté différents instruments réglementaires afin de faciliter l’expansion des lignes électriques. Toutefois, les retards se sont généralisés dans le développement du réseau de transport et fin 2018, seuls 30% des projets de développement initialement prévus pour cette date avaient été réalisés.
La gestion des congestions coûte cher aux GTR allemands
Le développement des EnR et les retards accumulés dans les investissements en faveur du réseau ont conduit à une forte augmentation du volume de gestion des congestions en Allemagne: de 3 TWh en 2012 à 23 TWh en 2020 avec des coûts pour les GRT allemands à hauteur de 1,4 Mrd€. En France, la gestion opérationnelle des congestions reste encore à l’heure actuel un sujet épisodique mais pourrait devenir plus préoccupant dans l’avenir[i].
Le dernier plan allemand de développement du réseau appelé NEP, publié en 2021 n’est pas encore validé par l’Agence fédérale des réseaux. Il fait état d’un besoin important de développement du réseau de transport avec des investissements estimés à 74,7 milliards d’euros d’ici 2035 (hors connections offshore) pour un scénario moyen d’électrification des usages et d’innovations (mobilité électrique, Power-to-X, stratégie hydrogène adoptée en juin 2020…).
La question qui se pose est la manière dont ces coûts vont être répartis entre les différents acteurs (opérateurs des installations renouvelables, gestionnaires de réseaux de distribution, consommateurs, etc.). Le sujet est complexe et peu transparent en Allemagne, d’autant que le principe de péréquation tarifaire des redevances réseaux n’existe pas au niveau de la distribution, ce qui conduit à de fortes disparités, d’un Land à l’autre, pour un consommateur final non privilégié.
En conclusion
En nous fondant sur l'article de la Revue de l'Énergie, nous avons souligné dans ce résumé les défis de la transition énergétique que l’Allemagne doit relever. Les retards cumulés dans le développement du réseau viennent renforcer les problématiques liées au déploiement massif des EnR. Ainsi, accélérer le développement du réseau électrique est devenu un des sujets centraux de la politique énergétique allemande. La France a également des défis à relever mais ils sont d’autres natures.
Que ce soit en Allemagne ou en France et d’une manière plus générale en Europe, il faut mettre ces défis en perspective par rapport aux innovations technologiques et organisationnelles qui se préparent au niveau de l’offre d’énergie, des réseaux et des usages. En effet, des avancées devraient permettre de faciliter l’insertion de plus d’EnR dans les systèmes énergétiques: des solutions permises par la digitalisation, le couplage énergétique entre différents vecteurs (électricité, gaz, chaleur), des innovations techniques en faveur d’un meilleur équilibrage en temps réel (contrôle à distance, meilleure prévisibilité du productible…), etc.
Une vision prospective tenant compte de toutes ces innovations s’impose en Europe. Elle devrait permettre de faciliter la transition énergétique en cours vers plus d’EnR.
[i] Selon RTE et dans le cadre du scénario issu du dernier exercice de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) d’avril 2020, les coûts de gestion des congestions en France pourraient augmenter progressivement pour atteindre 250 M€/an en 2035, dans l’hypothèse où l’ensemble des développements réseaux planifiés entreront en service à l’heure.
Komentarze