Dans le cadre d'un projet porté par le CEA, nous avons interrogé un groupe de chercheurs qui provenaient de l'Université, d'organismes de recherche publique [1] ou bien du département de R&D de groupes industriels [3]. Les interviews ont été complétées par l'avis d'experts faisant partie de différentes institutions dont le rôle est de faire le lien entre les recherches publique et privée [3]. Il est vrai que ce lien est crucial à la fois pour faire progresser la connaissance scientifique et pour faire naître des innovations.
C'est ce que nous avons pu constater effectivement en recueillant le témoignage des chercheurs qui nous ont fait part d'expériences concrètes et précises de projets de recherche collaborative entre le public et le privé.
L'objet de l'article Jean-Alain HERAUD et Nathalie POPIOLEK (2023) "A Model of Breakthrough Innovation: Simultaneity of Discovery and Invention" publié au Journal of Innovation Economics & Management, est de mettre ces témoignages en perspective par rapport à la théorie de l'innovation en analysant par quel processus les expériences décrites se sont révélées fructueuses tant pour le monde académique que pour le monde industriel.
En se référent à la littérature, nous avons décortiqué le processus de maturation d'une idée créative devant conduire simultanément à la découverte scientifique et à l'innovation. Chaque témoignage a été relu à partir d'une telle grille de lecture dans le but d'identifier précisément les apports mutuels (c'est à dire ce que le chercheur académique a apporté à l'industrie et ce que dans le même temps, l'industrie a apporté à la science), ainsi que les conditions propices à cette fertilisation croisée.
Chaque chercheur (appartenant à la sphère académique ou industrielle) suit sa motivation propre sans s'occuper des attentes de l'autre, mais la magie s'opère lorsque les connaissances passent les frontières et viennent enrichir chacune des sphères, comme le symbolise la figure du yin-yang appliquée à la recherche.
Figure 1 – The cross-fertilization between academic and applied (industrial) research: synergies to explore new fields of knowledge
Cependant, une condition fondamentale est nécessaire à cette fertilisation croisée : les chercheurs doivent apprendre à se connaître et à cultiver leur curiosité mutuelle de manière à faire bon usage de la nouvelle connaissance transférée. Comme on dit, la chance ne favorise que les esprits bien préparés et c'est bien cela qu'il faut réussir à impulser dans le monde de la recherche, tout particulièrement lorsque l'on veut favoriser les innovations de rupture. Il faut réussir à rassembler des compétences complémentaires et indépendantes dans l'optique de co-créer des solutions intéressantes aux problèmes existants. A noter que les knowledge angels (p.ex. les consultants) qui font le lien entre des communautés épistémiques différentes ont un rôle à jouer.
Albert Fert, prix Nobel de physique 2007, qui a accepté d'être interviewé dans les locaux de Thales au sein de l'unité mixte CNRS-Thales associée à l'université Paris-Saclay, a apporté un témoignage tout à fait intéressant. Il est synthétisé dans l'article à l'instar des vingt autres témoignages qui ont fait l'objet de ce travail.
Que les politiques publiques et les stratégies d'entreprise créent les conditions propices au développement de modèles de R&D tournés simultanément vers la publication scientifique et l'invention utile à l'industrie (figure 2). En outre, il faut lever les difficultés parmi lesquelles figurent la capacité à financer le risque, la synchronisation des horloges entre le monde académique et l'industrie, et bien sûr les différences culturelles.
Figure 2 – The simultaneous discovery-invention research model
[1] Université Paris-Salcay, CEA, BRGM, CNRS , IFPEN, INSERM
[2] Atos, Decathlon, TotalEnergies, Microsoft France, Thales
[3] Cap Digital, ANRT
Lire également Histoires de sciences & entreprises – volume 4, Séminaire "Favoriser l’impact de la recherche" par Valérie Archambault et Nathalie Popiolek
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